La promesse du Tantra : Le jeu de l’unité
Qui aujourd’hui détient le secret de ces enseignements ? Qui aujourd’hui brûle la dualité dans ses cellules ? Le tantra s’adresse à tous les hommes sans distinction d’âge, de race, de sexe ou de croyance. Chacun des mots employés doit être vécu dans le corps. C’est un langage vibrant, poétique. La révélation qu’il apporte au monde est faite par Siva à la Déesse Shakti. Le Vijnana Bhairava Tantra est une danse de la conscience, un levier de l’énergie. La Déesse Shakti initie Siva ; tout spécialement dans notre époque du Kali yuga, la femme transmet cet enseignement de pure conscience.
Le tantra n’a rien de théorique, ils apportent des descriptions très détaillées de pratiques rituelles, de gestes et de postures. Le Vijnana Bhairava tantra synthétise les techniques traditionnelles de la mystique : souffle, Kundalini, mantra, tantrisme sexuel, bhakti,… Il propose une plongée dans les couches vivantes de la vie spirituelle. Les supports de concentration sont très variés : la nuit, le ciel, un vase sans paroi, un mouvement lent,… On peut parler d’expériences poétiques, de tentatives d’unification profonde, de désirs d’échapper à la pensée dualisante par une intériorisation très poussée. C’est un jeu de l’unité, par opposition à la dispersion de l’extériorité. La conscience intériorisée élimine tout objet pour ne plus laisser qu’une pure énergie : le Spanda. La dualité signifie un relâchement de la conscience. La sérénité qui est atteinte n’a rien à voir avec une sérénité d’ordre moral. On l’appelle Bhairava ou encore Essence, Soi, Vacuité, Plénitude,… Tous ces mots doivent être vécus au-delà du sens habituel, dans une infinie simplicité qui est celle de l’expérience mystique. Accéder à cette expérience, tel est précisément le but de ce travail qui passe par une identification à l’absolu.
Un seul des cent-douze moyens de concentration qui sont proposés, suffit pour provoquer l’éveil. Ce voyage de la conscience est un voyage vers l’Unité. Bhairava est un Dieu et Bhairavi est une Déesse. Bhairava se nomme aussi Rudra et Siva ; trois niveaux d’expérience possibles. On ne devient un adepte de Bhairava qu’après avoir connu trois niveaux d’expérience spirituelle : de Bhairava le Créateur à Bhairava le Destructeur par l’intermédiaire de Bhairava le Protecteur puis on retourne au premier et ainsi de suite.
Tel est le sens de la triplicité du système Trika. L’acte de prise de conscience de soi, lorsqu’il se confond avec l’énergie universelle, englobe toutes les imperfections des constructions mentales. Siva/Bhairava est la lumière de la conscience qui brille, identique à elle-même. Shakti est l’énergie qui prend conscience d’elle-même en révélant la béatitude du Soi et sa beauté. Bhairava est identique à Bhairavi comme le feu est identique à son pouvoir de brûler. La conscience absolue a pour caractère essentiel la liberté, la vibration (Spanda) ou Cœur du Seigneur. Cette liberté s’exerce en se voilant à elle-même, en se cachant à elle-même par l’illusion, elle suscite la diversité dans l’unité et l’unité dans la diversité. Tout n’est que conscience. On peut comparer le Bhairava à un ciel vaste, lumineux et sans limite perceptible à travers un réseau de découpures variées et agitées. Le ciel se trouve alors confondu avec ses découpures alors qu’il reste intact dans son essence. C’est ainsi que nous divisons perpétuellement la réalité, nous épuisant à passer sans trêve de l’une à l’autre sans pouvoir saisir l’ensemble. Pourtant, tout plaisir éprouvé ramène au vrai ciel. La vie ordinaire semble ainsi factice et arbitraire tandis que la grande conscience montre une réalité sans artifice. Les hommes égoïstes ne voient presque pas le ciel alors que les hommes sages aperçoivent le ciel immobile. L’attitude extravertie tisse un réseau entre sujet et objet et dans l’attitude introvertie, l’homme plonge dans Bhairava. Quand le regard perce, même qu’une seconde, le grand ciel apparait dans sa lumière éblouissante.
La vie Mystique
Il ne faut pas imaginer la vie mystique comme une succession de rares extases dans le substrat de la vie ordinaire. Une impression quelconque, une sensation inédite et insignifiante peut devenir l’occasion d’une bascule dans le flot mystique. On peut tirer parti de n’importe quelle situation qui atteint l’intimité du cœur. L’être intégral fait vaciller les couches superficielles du moi à condition que la personnalité soit capable de se délivrer de sa structure d’écartèlement. Le Vijnana Bhairava est entièrement consacré aux méthodes de découverte de la vie spirituelle, il supprime les structures mentales et la rigidité de l’égo. Les cent-douze méditations tantriques se ramènent à deux types.
Le premier type produit un retour à la source de l’énergie ou une plongée dans la vacuité. Le deuxième type se concentre sur une découpure et atteint le ciel de la conscience. Tel est le sens profond du vide. Cette vision ne dure pas longtemps, le ciel est à nouveau caché mais personne n’oublie l’image entrevue et cette impression d’éblouissement serein. A partir de cette première aperception nous serons constamment aux aguets prêts à saisir au vol toutes les occasions de percer cet écran. Les méthodes que propose le Vijnana Bhairava sont variées : les unes aiguisent l’attention, d’autres brisent l’automatisme des fonctions naturelles, d’autres encore dissocient les impressions en les privant de leur environnement. Certaines concentrations transforment notre vision avec des procédés aussi banals que la lumière tamisée. Tous ces procédés sont différents par le mécanisme psychologique mais aussi par le niveau d’expérience. Pour les comprendre, il faut les replacer au sein des trois voies.
Les trois voies
Premièrement, au niveau de la vie ordinaire ou voie de l’individu : l’éternuement, la faim, la fatigue, la surprise permettent le contact avec le Soi. Deuxièmement, la voie de l’énergie : émotion violente, adoration intense, amour, colère,… procurent une illumination instantanée mais sans faire du Soi une demeure permanente. Troisièmement, au niveau supérieur ou voie de Siva : c’est le règne du Vide, le Soi cosmique se révèle dans sa plénitude, extériorité et intériorité fusionnent dans le Bhairava apaisé.
Le présent est un pont de désir jeté entre le passé et l’avenir. C’est ainsi que l’humain perd sa liberté, enchainé par ses expériences passées et se projetant sans arrêt vers ses expériences futures, il ne sait pas vivre le moment présent, le seul d’où pourrait jaillir l’illumination. La voie de l’individu s’efforce de libérer la pensée de son agitation en la fixant sur un objet et en s’absorbant en lui. Parce qu’elle demande un effort puissant de la pensée, on l’appelle voie de l’activité. Elle commence à mettre en œuvre les actes les plus simples, organe des sens, attitude du corps, discipline des souffles, récitations de formules, deviennent l’objet d’une pratique ininterrompue et offrent l’occasion d’un oubli de l’égo. Tout ce qui est rigide et automatique s’imprègne à nouveau de conscience. Que cette concentration atteigne une certaine intensité et un objet demeure seul au centre de la conscience. Ainsi se réalise l’absorption mais elle ne dure qu’un moment. L’apaisement de la pensée est le plus haut stade de cette voie. La quiétude advient par l’apaisement du conflit qui oppose sujet et objet. L’effort, le vouloir, le choix, la ténacité perpétuent la dualité du penseur et de la pensée, de Siva et de son énergie, elle n’échappe donc pas à la dualité mais elle conduit aussi à la voie de l’énergie et même à la voie de Siva. Des tâches de lumière, le fond d’un vase, le fond d’un puits accaparent sans raison toute l’attention, le regard devient fixe, le corps immobile, le vide de la dualité laisse la voie libre à la pure conscience. Ainsi la voie de l’individu amène sans intermédiaire à la voie de Siva. Des émotions violentes, la passion, la stupéfaction, la terreur, la fureur, unifient soudain l’être tout entier. La voie de l’énergie sert de transition entre la voie inférieure et la voie supérieure.
Découvrir la pensée tantrique consiste à passer d’une pensée linéaire à une pensée circulaire qui tourne en spirale et s’inspire sans cesse du centre de l’être, c’est une rigueur et c’est une danse.
C’est une consécration et c’est une légèreté, la valse poétique des mots se met au service d’une révélation de conscience.
La sensation du cercle permet de sortir des jugements et des promesses, des attentes, des rêves et des illusions. Le Tantra conduit vers une ouverture de conscience, une libération. Le Tantrika devient un libéré vivant. La négativité est chaque fois surmontée par ces amoureux du souffle.
Paule Salomon.
Psychothérapeute, Auteure, Enseignante Tantra.